AUTOPORTRAITS ET PORTRAITS D’ARTISTES Une observation attentive des autoportraits des grands artistes montre souvent qu’un œil — vraisemblablement l’œil dominant — occupe une place privilégiée. Dans certains autoportraits, les artistes laissent simplement l’œil dominé plus ou moins « en dehors du cadre », dans l’ombre, à peine une trace imprécise dans une vue de trois quarts (vue qui fait apparaître une moitié du visage du côté qui se présente à nous et un quart du visage du côté tourné, donc de « trois quarts »). Ce qui nous amène à la question suivante : les artistes représentaient-ils cette différence simplement parce qu’ils l’avaient observée, ou peut-être dans un souci esthétique visant à mettre en relief un œil par rapport à l’autre, ou bien étaient-ils véritablement conscients de cette différence fonctionnelle entre les deux yeux ? Lorsqu’un artiste peint le portrait d’un ami, d’un parent, d’un modèle ou encore d’un client contre rémunération, il semble simplement représenter ce qu’il voit devant lui : un œil souvent clairement dominant et l’autre clairement dominé qui ne reçoit aucune attention. Un cas fait cependant exception à cette pratique courante : lorsqu’un artiste masculin peint le portrait d’une belle jeune femme. Un changement intéressant intervient alors souvent dans l’attention prêtée à ses yeux. La plupart du temps, l’artiste demande à son modèle de se placer selon une vue de trois quarts. Si l’on examine ce type de portraits dans l’histoire de l’art, on s’aperçoit que c’est l’œil gauche dominé (l’œil doux, rêveur, non verbal, morne) de ces jeunes modèles qui se trouve à l’avant-plan, tandis que l’œil dominant, attentif, connecté à l’hémisphère verbal et potentiellement compliqué à représenter occupe l’arrière-plan, le quart restant. Pur hasard ? Chimère ? Regardez bien le visage de la Jeune Fille à la perle de Johannes Vermeer, il incarne parfaitement cette théorie. L’œil gauche du modèle (probablement l’œil dominé) est à l’avant-plan, il semble moins vif, un peu inattentif et rêveur, tandis que l’œil droit (probablement l’œil dominant), pourtant le plus éloigné, fixe l’observateur et lui jette un regard attentif, vif, connecté. Pour percevoir encore mieux cette différence, couvrez une moitié du visage, puis l’autre. Observer des œuvres d’art qui illustrent la différence visible entre les deux yeux est un exercice très intéressant pour apprendre à reconnaître l’œil dominant dans la vie de tous les jours. Les sites web des musées regorgent de collections de portraits et d’autoportraits pour s’entraîner ; du reste, la recherche et la découverte de l’œil dominant ajoute au plaisir que procurent les grandes œuvres d’art.
