Envisagé au point de vue esthétique, l’art peut
être défini : un ouvrage de l’homme s’efforçant de re-
présenter le beau invisible ou idéal au moyen de leurs
signes les plus expressifs.
Nous sommes convenus que le beau ne réside
point à la surface des choses, mais qu’il vient du de-
dans, de l’essence, de l’idée. Le fait tout seul ne parle
qu’aux sens, l’idée toute seule ne parle qu’à l’esprit;
l’art doit relier ces deux extrêmes de la nature
humaine, et faire resplendir l’idée à travers une en-
veloppe sensible.
Que l’artiste contemple la nature : elle peut ici lui
servir de modèle. Que fait la nature? Ne pouvant
montrer l’àme, la force, l’invisible, elle les montre
dans leurs œuvres, dans le rayonnement de leur acti-
vité extérieure. L’artiste doit faire la même chose. Il
faudra qu’il conçoive d’abord la forme ou l’essence
du beau, et que l’ayant une fois conçue, il la traduise,
il l’exprime par un signe sensible. Mais il ne prendra
pas ses signes au hasard, il choisira les mieux adap-
tés à lulée, les plus propres à révéler l’invisible
beauté. Tel est l’objet, ou, si l’on veut, la un prochaine
de l’art.
A vrai dire, assigner la fin de l’art, c’est assigner la
fin du beau lui-même, puisque l’objet de l’art
autre que le beau. Ainsi, l’art devra se proposer
comme but de produire sur nous, par la représenta-
tion du beau, les effets que produit le beau lui-même.
Le beau nous plaît, nous ravit, enlève notre admira-
tion, parce qu’il est une révélation de la perfection,
de l’harmonie, de l’ordre; exciter en nous ce déli-
cieux sentiment, nous faire aimer et admirer ces
grandes choses, voilà la tâche, voilà l’idéal de l’art.
Chercher le vrai et le montrer aux autres tel qu’il
est en lui-même au moyen de formules si justes
qu’elles ne lui ajoutent rien, ne lui ôtent rien; aimer
le bien et le faire vivre dans son âme et dans sa vie;
se passionner pour le beau, le revêtir des ornements
qui lui conviennent, voilà trois nobles tâches : la
première plus austère, la seconde plus divine, la
troisième plus attachante, plus humaine. Le savant,
l’artiste, le saint, sont trois ouvriers qui travaillent en
matière désintéressée, qui dominent et instruisent la
foule .
Oh! revêtir le vrai d’une robe immortelle
Qui sous ses plis charmants en laisse voir les traits :
Donner à sa pensée une forme si belle,
Que les siècles ravis Vaimeront à jamais!
Qu’il est beau de semer les rayons et les flammes
Dans la funèbre horreur de nos nuits d’ici bas,
Et de faire a pleins bords couler Dieu dans les ames
Par des canaux d’or pur qui ne s’épuisent pas I
Quelle ivresse pour r&me en sa course mortelle,
De venir, pour sa part, en aide au genre humain,
Et d’accroître en passant, fut-ce d’une parcelle,
Le trésor de beauté qu’il porte en son chemin ! (Comte de Ségur )