Professeur d'art

LA CRÉATIVITÉ et L’HISTOIRE HUMAINE

Pour le meilleur et pour le pire, la créativité humaine a inexorablement façonné la vie sur notre planète. À chaque étape de notre histoire, d’innombrables exemples de découvertes innovantes et de grande utilité sociale, telles que celle de Pell/Crenshaw, ont contribué à améliorer la vie.

Nous avons aussi connu des découvertes plus rares et prodigieuses. Paul Strathern, dans son livre The Big Idea Collected : six revolutionary ideas that changed the world, a étudié quelques-unes des plus grandes idées de tous les temps et des incroyables penseurs qui les ont découvertes : Isaac Newton et la gravitation ; Marie Curie et la radioactivité ; Albert Einstein et la relativité ; Allan Turing et les ordinateurs ; Stephen Hawking et les trous noirs ; Francis Crick et James Watson et l’ADN28.

Peu d’êtres humains aspirent à ce niveau exceptionnel de pensée créatrice. Cependant, un très grand nombre de visionnaires ordinaires ont énormément contribué au progrès au cours des siècles et nous leur en sommes très reconnaissants.

Vous remarquerez que les six exemples de Paul Strathern se situent dans le champ des mathématiques et des sciences. Nous pourrions constituer une liste tout aussi impressionnante d’artistes : Praxitèle, Leonard de Vinci, Michel-Ange, Raphaël, Rembrandt, Goya, Cézanne, Matisse et Picasso.

CRÉATIVITÉ PRÉHISTORIQUE

L’invention d’outils en pierre (il y a 2,5 millions d’années) et la maîtrise du feu (vers 400 000 av. J.-C.) font certainement partie des inventions les plus innovantes et créatrices de la préhistoire. Elles seront suivies plus tard d’inventions comme l’aiguille en os munie d’un chas, qui permettra de coudre des vêtements en peaux de bête.

On a récemment découvert une flûte vieille de 45 000 ans, ce qui laisse penser que l’homme de Néanderthal possédait une culture bien plus développée que l’on ne l’imaginait. Nous pouvons certainement considérer comme capitales les peintures rupestres, découvertes un peu partout dans le monde, de l’Europe à l’Australie en passant par l’Afrique.

À Chauvet, en France, on a récemment mis au jour une grotte magnifiquement décorée datant de 32 000 av. J-C. Le sens véritable de ces œuvres d’art en matière de développement du cerveau est encore un mystère. Les théories abondent sans qu’aucune ne s’impose. Pour beaucoup de scientifiques, l’art préhistorique est tout simplement inexplicable et époustouflant.

Les difficultés surmontées par ces artistes étaient énormes. Ils créaient des dessins très réalistes, étonnamment beaux, dans des grottes immenses qui s’enfonçaient profondément dans les montagnes .

Les cavernes étaient très sombres et les artistes travaillaient à la faible et incertaine lueur de torches ou de grossières lampes à graisse animale. Pour leurs dessins et peintures, ils utilisaient des morceaux de charbon ou des pigments fabriqués à partir d’oxyde de fer pour le rouge, de dioxyde de manganèse ou du charbon pour le noir, du kaolin ou du mica pour le blanc, avec des huiles végétales et animales comme liants – la première peinture à l’huile.

Les œuvres étaient dessinées si haut sur les murs ou les plafonds qu’ils devaient construire des échafaudages sophistiqués, comme celui de Michel-Ange pour la chapelle Sixtine dans la Rome de la Renaissance, plus de 30 000 ans plus tard. Souvent, les contours même des murs des grottes semblaient suggérer des formes animales. L’artiste pariétal, imaginant l’animal complet, renforçait cette forme avec un réalisme, une sophistication et une beauté extraordinaires. Comme le disait Gregory Curtis en 2007, dans son livre, The Cave Painters : Probing the Mysteries of the World’s First Artists : « La manière dont ces artistes utilisaient les contours des murs pour mettre en valeur leur travail m’a soufflé. »

Ces premiers « humains modernes dessinaient de mémoire, ils revoyaient l’animal dans leur esprit et représentaient les créatures imaginées avec un réalisme et un talent étonnants. Aujourd’hui, un artiste chevronné, travaillant dans les mêmes conditions, aurait beaucoup de difficultés à retrouver la qualité esthétique des magnifiques représentations pleines de vie de mammouths, bisons, lions et chevaux des artistes pariétaux. Ils sont peints avec force mais aussi élégance, avec des pattes délicates, parfois même dans une perspective correcte et des ombrages qui leur donnent une apparence tridimensionnelle.

Ces dessins révèlent une fine observation et une superbe mémorisation d’animaux vivants. Cela exigeait, comme dans la définition de la créativité de Ken Robinson, une grande puissance d’« imagination, qui est le processus qui ramène à l’esprit des choses qui ne sont pas présentes à nos sens ». Ces énormes difficultés à représenter diverses espèces animales dans des conditions aussi redoutables dénotent une ferme volonté de réaliser ces œuvres d’art et des compétences perceptives hors du commun, eu égard au contexte primitif de l’époque.

« Les peintures rupestres possèdent des idées classiques, une grâce classique et une dignité classique. C’est pourquoi elles semblent familières et nous apparaissent comme faisant partie intégrante de notre héritage. »

 Gregory Curtis,

The Cave Painters : Probing the Mysteries of the World’s First Artists, First Anchor Books Edition, 2007, p. 238.

Il me semble que cela signifie que ces premiers humains modernes possédaient un énorme pouvoir de visualisation. L’on peut se demander si nous avons encore aujourd’hui cette capacité cérébrale, ou si elle a été marginalisée et écrasée par d’autres créations majeures, telle l’écriture, désormais à son apogée dans le vaste univers des langages informatiques et numériques.

Pourrons-nous retrouver ce degré de puissance visuelle ? Qu’est-ce que cela exigerait ? Avec du temps et des efforts, pourrons-nous exploiter la créativité, l’imagination et l’innovation pour envisager l’avenir et prévoir les dangers inhérents aux inventions qui n’ont pas d’utilité sociale, comme ces terribles armes construites pour blesser ou détruire à une échelle inimaginable, ou ces désastreuses inventions qui endommagent notre écosystème et mettent en péril notre existence future.

Nous devons cependant reconnaître que même ces inventions néfastes sont réellement imaginatives : elles suivent la longue tradition de la créativité humaine, l’utilité sociale en moins. Pourrons-nous récupérer nos capacités d’observation et de vision pour appréhender les risques futurs, et poser la question clé de la créativité : « Attends une minute, qu’en est-il de…  ? »

En 1946, Albert Einstein déclarait : « Le pouvoir de l’atome a tout transformé sauf notre mode de pensée. » Et dans le même article : « Il devient indispensable que l’humanité formule un nouveau mode de pensée si elle veut survivre et atteindre un niveau plus élevé. »

– Extrait de « Atomic Education Urged by Einstein », New York Times, 25 mai 1946.

Mais l’histoire apporte espoir et promesses. Les capacités visuelles innovantes des premiers humains modernes réapparaissent avec le « miracle grec », refluent au Moyen Âge puis revoient le jour à la Renaissance. Notre plus grande compréhension du cerveau et de ses potentialités pourrait-elle nous mener vers une re-naissance, une nouvelle Renaissance ? Bison debout, Grotte d’Altamira, Espagne.

Il n’y a rien de primitif ou d’amateur dans cet art. L’artiste pariétal a représenté avec force la masse de l’animal, son équilibre délicat et son élégance, avec une précision anatomique et en donnant vie à son modèle, dont on a l’impression qu’il ne s’arrête qu’un instant avant de reprendre sa route.

Picasso a déclaré à propos des peintures rupestres d’Altamira : « Après Altamira, tout est décadence. »

RÉFLEXION :

Les possibles effets à long terme de l’apprentissage du dessin dans l’enseignement scolaire restent encore inconnus et n’ont jamais été vérifiés. Or, malheureusement, comme l’art déserte peu à peu les écoles publiques, nous pourrions ne jamais avoir la réponse. Le dessin, en particulier, a été délaissé au profit d’activités artistiques moins rigoureuses, souvent qualifiées de « manipulation de matériaux » par les revues pédagogiques.

Pourtant, tous les jeunes enfants dessinent. Le plus souvent, ils représentent ce qu’ils ont dans la tête à l’aide de ravissants symboles de leur composition, ce qui n’est pas sans rappeler la passion manifeste de nos ancêtres préhistoriques pour la représentation des perceptions par le dessin.

Peut-être vous souvenez-vous aussi de vos premiers dessins d’enfant ?

C’est vers l’âge de huit ou neuf ans que les choses se gâtent, lorsque les enfants se lassent de leurs dessins symboliques rudimentaires et veulent à tout prix que leurs dessins aient « l’air vrai ».

Avec l’enseignement adéquat, les enfants de cet âge peuvent en effet apprendre à bien dessiner et transposer cet apprentissage à d’autres matières qui deviennent subitement plus visuelles, plus intéressantes.

Si, dans leur quête de réalisme, les enfants ne reçoivent pas l’enseignement adéquat, ils se détourneront définitivement du dessin pour devenir ces adultes qui affirment qu’ils ne savent « pas dessiner ou qu’ils n’ont « aucun talent pour le dessin ».

Heureusement, le dessin peut s’apprendre à tout âge et dans n’importe quelle situation (ou presque). Il demande très peu de prérequis : pas d’équipement spécial, pas de condition physique particulière, pas de limite d’âge. Le matériel nécessaire est sommaire : du papier, un crayon et une gomme. Les exercices proposés dans mes cours  ne sont que le début de ce qui pourrait devenir la passion d’une vie, celle de vouloir dessiner ce que vous voyez de vos propres yeux. Avec le temps, vos dessins vous en apprendront plus sur vous-même — L’un des bienfaits les plus appréciables de l’apprentissage du dessin est l’effet régénérant du temps passé à assimiler des instructions et à réaliser des exercices de dessin plus approfondis.

Une fois que vous aurez atteint l’état d’esprit nécessaire au dessin, votre hémisphère verbal s’effacera pendant que vous dessinez. Lorsque vous aurez terminé, vous retrouverez votre état d’esprit verbal habituel, frais et dispos. C’est l’un des grands bienfaits du dessin, tout comme la révélation qu’il provoque en vous lorsque vous découvrez toute l’importance de voir au lieu de « simplement regarder ».

-Regardez c’est bien, voir c’est mieux.

J’espère de tout cœur que vous tenterez l’expérience de dessiner, même si vous le faites par simple curiosité. S’il y a bien une chose que je peux affirmer après toutes ces années passées à enseigner le dessin, c’est qu’à l’instar de l’apprentissage de la lecture, l’apprentissage du dessin ne peut jamais faire de tort : il est toujours bénéfique.

« Ce qu’il faut dire, ce que je crois, c’est que.. qu’il s’agisse de peinture ou de sculpture.. au fond,il n’y a que le dessin qui compte. Il faut s’accrocher uniquement, exclusivement au dessin. Si on dominait un peu le dessin, tout le reste serait possible.»

Alberto Giacometti

Dessinez longtemps avant de songer à peindre. Quand on écrit sur un solide fondement, on dort tranquille.

Ingres

Le dessin est l’art d’éliminer.

Liebermann

“Il n’y a réellement ni beau style, ni beau dessin, ni belle couleur : il n’y a qu’une seule beauté, celle de la vérité qui se révèle.”

Auguste Rodin

M. Claude Bellaton 

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