Au fil des siècles, de nombreux artistes, pour ne pas dire la plupart, ont dessiné ou peint des autoportraits. Ensuite est arrivée la photographie et, avec elle, son lot d’autoportraits photographiques. Enfin est apparu le selfie, pour employer le terme argotique anglais désignant l’autoportrait photographique. Aujourd’hui, grâce à nos téléphones portables omniprésents, nous prenons des selfies à tort et à travers, que nous postons sur Internet aux yeux de tous. Si l’intermédiaire, le portraitiste, avait déjà disparu depuis belle lurette, aujourd’hui ce sont le temps et la rigueur nécessaires pour peindre ou dessiner un autoportrait qui disparaissent. Chacun de nous peut désormais, sans la moindre formation artistique, s’improviser artiste photographe et réaliser son autoportrait en plusieurs exemplaires, en s’offrant le luxe de choisir parmi des dizaines, des centaines d’images celle qui nous représentera tel que nous voulons être vu — celle qui exprimera « Me voilà. C’est moi ». Que recherchons-nous à travers ces selfies ? Je répondrais à cette question que nous ne cherchons pas à influencer la manière dont les autres nous voient, mais précisément l’inverse : nous aspirons à nous voir tels que nous espérons que les autres nous voient. Les selfies les plus anciens dont nous avons connaissance sont ces mains peintes selon la technique du pochoir il y a entre 9000 et 1300 ans sur les murs des grottes préhistoriques. Cette photo montre des mains négatives retrouvées sur un site préhistorique riche en peintures rupestres de ce genre : la Cueva de las Manos (la grotte des mains, Río Pinturas, Patagonie, Argentine, Amérique du Sud). Ces images ont été réalisées en soufflant avec la bouche une poudre de charbon de bois parfois mélangée à un liquide directement sur une main placée contre le mur de manière à former un espace négatif autour de la main.
